If hell is full of good meanings, then heaven must be filled with discontent.

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"Je m'apprête à jouer le nouvel album de Makoto / Kristof / Palomo intitulé Heaven Of Discontent et une certaine appréhension me saisit à la gageure que je me suis lancée.
Sera-ce vraiment possible d'écrire à propos de la musique au moment où elle est jouée comme s'il s'agissait moins d'écrire sur la musique que de la musique même? Faudra-t-il faire correspondre mot à note, défi illusoire à relever, voué à l'échec avant même d'être
tenté comme si il y avait une isomorphie entre le langage musical et le langage verbal, pourtant toujours postulée par la poésie comme essence du langage : un poème free pour une impro free ? Ou moins naïvement, se livrer au cours de la musique, en faire une narration voire même simplement une description approximée avec des images évoquées traduites en mots choisis, le tout arbitrairement avec cette arrière-pensée que l'improvisation est elle-même essentiellement arbitraire, contrat rempli ? Ou bien en
privilégiant les personnages convoqués, rédiger une pièce en cinq actes / titres à même de faire revivre le dialogue des trois acteurs sur scène, performant cette musique pour la première et la dernière, l'unique fois, cependant itérable encore et encore grâce à la
magie de l'enregistrement : texte unique pour musique unique ? Peut-être rester simplement sur la ligne de crête entre un enfer pavé de bonnes intentions et un paradis plein de colère ?

Allez, je lance, ça commence.

Prélude à la baffe : ça grince et sourd, il y a du malaise dans la civilisation, tout appelle à la colère. Encore retenue. Pour combien de temps ? De courtes échappées à peine esquissées dans une stridence de bonheur : trouées de silence avant les zébrures de
l'éclair. Des voix tentent d'émerger, ondulantes et sinueuses, langues du serpent, attendant calmement son tour pour laminer l'espace. La tôle se froisse pour bloquer les cognes. Du répit intersidéral, grouillant. Silence blanc.

Je me souviens d'Oki, encore sauvage dans sa nudité souveraine, se profilant derrière la brume des fumigènes de cette fin de monde. Agressive dans son regard exigeant l'impossible, calme dans ses soliloques apaisés résonnant d'appels à ne pas lâcher pied, à
tenir, encore,toujours, acharnés du dernier souffle, obnubilée par le Message en boucle intense, évoluant en ellipses obliques au-dessus des casques, son silence pire que ses cris, tellement plein de tout l'informulable en dehors du chaos. Au mitan, Oki se lève au-
dessus de la mêlée, un nuage fottant entre ses lèvres, ascension douce de la Vérité, on sent qu'elle pourra se rabattre à tout moment avec furie ; la nuit couine doucement, et le Verbe passe au-dessus des eaux. Oki, seule reine incandescente, rêve, la shaman des
opprimés. Le déchirement intermittent de son silence, craquelé, parasite le monde : il va tomber sur nos têtes, nous laissant pantois dans les tunnels de pierre de nos certitudes.
La pluie de la prophétie tombe enfin, inarrêtable. Arrêtée.

Le paradis de la colère n'est pas ce que l'on croirait. Des lignes électroniques suscitent des percées orientales dans les esprits farouches. La douceur de la colère est trop souvent oblitérée ? Les roulements simiesques en pointillés jettent l'opprobre sur le calme de la Terre. Babel arrivera bien à son heure. Il s'agira d'y frotter les pavés pour que la Parole émerge. Arrivée de toujours, la rage emplit tous les coins de l'espace, rage salvatrice des derniers combattants de la Cause, premières victimes de la Beauté, inondés surélevés par la pluie d'or qui féconde. Pas d'échappatoire autre qu'un amenuisement dans le silence, une transe fouettée qui nous délivre en nous emprisonnant. Cris, cris-se-ment, cris-passion. Les frêles haches s'abaissent. Coupant court. Pauvres cloches !

Spécifque mais spontané, le temps de la révolte, à pas de souris, s'immiscant sans cesse dans les esprits soumis, obsession si spéciale du manant, laissant sans soin mais sans souci le slave révolutionné.

Et il se mit à neiger sur les écrans ! La transmission du Message a trouvé preneur en celui qui se mire dans les mires et sait y lire les points épars surgis de la nuit, autant de feux d'espoir grave dans la bienveillance des temps, stations d'épuration où l'Homme Nouveau naît, passé sous le crible cristallin du son, rendu à son immémorialité dénouée dans l'habitat du silence. L'orage a brui, rien ne survit que l'essentiel, ce qui point ici et là du silence pour les Attentifs. La colère, susbsumée dans le sourd, conserve toute sa force révolutionnaire, à coups de fer et de doigts. Le bonheur stridule, sûr et plein comme un slogan sur les murs retournés à la Nature. Ruines d'avenir.

PS : Comme toute douceur, cette musique était enrobée de quelques photos, l'accompagnant, la commentant, la soulignant ? Bon an mal an, j'ai bien peur qu'elles colorent inconsciemment ce texte... Pouvait-il en être autrement ?"

Texte : Cédric Pabot